Ñawpa

Il est communément admis que les indiens d’Amérique, du fait de la tentative de destruction de leur civilisation, ont définitivement perdu leur musique dont les rares éléments authentiques qui subsistent sont noyés dans un fascinant syncrétisme musical.

 

Pourtant, selon Mónica Gudemos (archéomusicologue, Université Nationale de Cordoue, Argentine), une connaissance approfondie du contexte historico-socio-culturel dans lequel s’inscrivaient les pratiques musicales des civilisations préhispaniques des haut-plateaux des Andes, complément essentiel à l’étude organologique du matériau musical archéologique, permettrait de parvenir à s’approcher d’une reconstitution des “musiques oubliées” du monde andin.

 

Si autour du projet de Ñawpa, mes discussions avec Mónica Gudemos sur la question ont été particulièrement porteuses, et bien que des échelles d’intervalles qu’elle a tiré de l’analyse d’une collection de flûtes dénommées Chancay conservées à Berlin m’ont servi à l’élaboration d’un matériau sonore, mon but s’est éloigné peu à peu d’une telle tentative de reconstitution.

 

Il s’est agit plutôt de suivre une trace, et d’inviter, par la volonté poétique, et en redonnant souffle aux instruments issus des fouilles archéologiques, à une grande méditation sur la mémoire, sur le temps et l’espace.

 

Chacun des neuf violons personnifie une flûte chancay différente et utilise les mêmes rapports intervalliques que ceux dégagés par l’analyse acoustique des flûtes. La conception de la justesse dans le monde andin implique une écoute des intervalles par hauteurs relatives, par proportion, créant ainsi une instabilité que j’ai traduite par l’emploi fréquent de micro-intervalles, de glissandi et de jeux de balayage harmonique. Comme une sorte de cérémonie rituelle faisant vibrer, par la voix des violons, chacune des flûtes chancay, l’orchestre à cordes et sa disposition dans la salle de concert devient alors une métaphore poétique du matériau archéologique.

 

Le terme ñawpa (en langue runa simi de l’ancienne civilisation andine de Tawantinsuyu) donne à l’œuvre son titre. Ce mot difficilement traduisible exprime à la fois la définition d’un futur considéré comme le temps qui vient vers nous et d’un passé immédiat dont la conséquence sera ce même futur. Cette notion qui s’inscrit dans le vaste concept Pacha (patcha) encore présent aujourd’hui dans la mentalité andine reflète une conception imbriquée du temps et de l’espace. C’est cette approche qui a guidé la composition formelle de l’œuvre.